A des années lumières des adeptes de la triple croche pointée et des forçats du tour de poignet, Eric Legnini évite les farces et chausse-trappes de la facilité, du remplissage qui comble les oreilles novices en masquant le grand vide. Pas de solos de contrebasse, point de roulements tambours battants, le pianiste suspend le temps, retient le tempo, ose même la loi du vertigineux silence. Quinze thèmes, la plupart en moins de trois minutes, comme un concentré où la sagesse domine la prouesse.
« Le format très court correspond à ce type de répertoire. Tu dis la même chose en trois minutes qu’en huit. La manière de jouer la mélodie est la couleur fondamentale dont découle l’improvisation. » C’est ainsi, seul au piano, qu’il dessine deux folksongs de sa main tout comme il trace de nouveaux contours à son écriture en parcourant trois de ses classiques : le joyeux « Trastevere », le nostalgique « Amarone », et « Nightfall », un thème comme une sorte de signature stylistique. C’est avec la même retenue qu’il délivre seul un « Prelude To A Kiss », un de ses morceaux préférés.
Quant à l’adaptation toute personnelle – mais cette fois en trio – de « Don’t Let Me Be Lonely Tonight » de James Taylor, elle redit son goût pour la musique de l’âme. Parmi toutes ses bornes essentielles, mention spéciale à « Willow Weep For Me », qui renvoie à la vision qu’en offrait Ray Bryant , un condensé de toute l’expression de la tradition gospel du piano jazz, et spéciale dédicace à la version de Bill Evans de « Darn Tha Dream » « Dans l’école blanche du trio, il y a deux maîtres incontestables : Paul Bley, dans une manière plus libre de jouer, et Bill Evans, moderne à tout moment. » Sans oublier le standard trio de Keith Jarrett, une formation matrice, qu’il salue d’un subtil clin d’œil à travers « Smoke Gets In Your Eyes »…